Sur la pensée de Nietzsche

Sur la pensée de Nietzsche

Messagede kuhing » 11 Mai 2009, 13:48

Proposition d'article pour "le P'tit Noir numéro 9" :


J'ai personnellement beaucoup aimé la lecture de Nietzsche, c'est même un des rares philosophes qui m'a vraiment donné envie d'en savoir plus sur ce qu'il pensait.

Ce que j'en ai retenu c'est un chainon manquant dans son explication du monde et en particulier sur celle qu'il donne du cheminement humain.
Et, c'est sans doute cet élément absent qui fait chavirer tout l'édifice de la conception Nietzschéenne et qui a permis à certaines personnes mal intentionnées de s'en emparer à des fins peu glorieuses.

Résumons :

Je suis en accord avec un élément central de la pensée de Nietzsche : celui qui concerne la volonté de puissance liée à l'épanouissement de l'individu.
En cela je retrouve l'importance accordée à l'individu qui a, sous une autre manière, été évoquée par Max Stirner.

Cette importance de l'individualité, qui doit être mise en rapport avec la notion de liberté, a été obérée par la plus grande partie de la pensée marxiste et c'est peut-être une des raisons pour laquelle la répression bolchevique a pu se développer grâce à cette justification théorique.

Ce que j'apprécie donc le plus dans la pensée Nietzschéenne est que pour lui l'individu existe de façon essentielle et qu'il ne doit pas être relégué au second plan par rapport à la collectivité.

Ensuite vient la question de "la volonté de puissance" qui serait selon lui un des moteurs principaux de l'histoire de l'humanité.
On ne peut que constater à ce sujet que l'histoire des hommes et des femmes peut se résumer à une question de rapports de forces que ce soit dans les relations entre forts et faibles, en exploiteurs et exploités ou entre hommes et femmes.

Cette volonté de puissance existerait donc bel et bien chez l'être humain.

Mais sans tenir à ce simple constat aboutirait à des dérives pouvant justifier tous les systèmes sociaux autoritaires qu'ils aillent du centralisme dit "démocratique" au fascisme le plus absolu.

Il manque donc, d'après moi, un chainon essentiel dans la conception Nietzschéenne, celui qui a peut-être rendu le philosophe fou.
Ce chainon est celui de l'environnement social, celui de la communauté qui ne se résume pas à une addition d'individus mais qui a un fonctionnement indépendant voire autonome.
C'est aussi celui du rapport dialectique qui existe entre individualité et communauté.

La volonté de puissance serait bien un élément fondamental de la "structure" humaine mais son aboutissement "sain" serait la quête d'une acquisition de cette puissance de l'individu sur lui-même.
Ce processus parvient tout de même à s'immiscer dans certaines failles de la société et c'est ce qui fait la lente évolution de la pensée humaine.

La volonté de puissance est donc jusqu'à présent pervertie par les rapports sociaux déséquilibrés générés par tous les systèmes sociaux qui ont existé.
Le dernier en date étant le capitalisme.
Les rapports sociaux basés sur l'exploitation de l'homme par l'homme pervertissent la volonté de puissance sur soi-même en la détournant vers la tentative et le combat pour l'emprise sur les autres.

Une révolution sociale et l'établissement de rapport de production justes, permettraient de ramener la volonté de puissance dont parle Nietzsche vers son réel objectif : soi-même.
kuhing
 

Re: Sur la pensée de Nietzsche

Messagede conan » 11 Mai 2009, 18:17

Je suis assez d'accord avec toi sur le fait que Nietzsche ait une philosophie de transmutation de soi-même bien plus que d'autrui ! Et sur son rejet total des justifications légales/morales, toutes à abattre pour façonner sa propre grandeur.

Mais quelques remarques quand même, parce qu'à mon humble avis de lecteur de Nietzsche, il est l'un des penseurs les plus complexes et les plus insaisissables qui soit, et il est fort difficile et même périlleux de tenter de "récupérer" sa pensée ou de la rapprocher de quelque courant qu'il s'agisse -l'anarchisme compris. Pour ma part, quitte à oser faire une classification de ce lascar, j'y vois l'incarnation d'une certaine pensée antique, aristocratique guerrière, qu'on peut d'ailleurs étrangement rapprocher du code du samouraï nippon. Mais refermons la parenthèse de l'intuition et venons-en aux critiques.

-attention sur la "liberté" chez Nietzsche : pour lui elle consiste plus à accepter d'embrasser son destin, son "heur", et de l'accomplir ou d'être terrassé par lui, que de s'affranchir de lui. En ce sens Nietzsche pense que la liberté est de tendre à réaliser ce que l'on est destiné à être, à condition d'avoir du talent, de la volonté, de la force morale pour briser toutes les valeurs, et d'accepter les conséquences d'une telle attitude : frugalité, simplicité, voire aptitude à endurer la souffrance (ce qui selon lui ne concerne de fait pas grand monde, il estime qu'il n'y a que quelques rares grands hommes par "civilisations"). Rien à voir donc avec une émancipation accessible à tout un chacun, comme peut le prôner l'anarchisme.

-L'individu n'a de sens par rapport à la collectivité que comme "guide", "maître", voire d'adversaire émancipateur, s'il est capable d'assumer sa "nature" sauvage et solaire. Toute société légalisante, "égalitaire", se bâtit sur des rapports de légitimation du pouvoir des plus faibles, de frustration culpabilisante, d'aliénation morale et Nietzsche dénonce cette hypocrisie : selon lui, il y aura toujours des surhommes et des gens de l'arrière-monde.

-Nietzsche ne combat pas la volonté de puissance sur autrui, même si celle-ci s'adresse à terme à soi-même comme tu le dis. Au contraire dominer l'autre est l'un des moyens les plus profonds de se grandir et de faire grandir l'autre, par une salutaire réaction d'orgueil (Nietzsche lui-même appelle son lecteur à le rejeter, à le dépasser).

-A l'inverse, il conchie au plus haut point toute pensée de "masse", en particulier christianisme et socialisme, mais aussi nationalisme et haine des minorités (antisémitisme compris) qu'il assimile à des manifestations du renoncement, du refoulement collectif, de frustration -d'instinct de mort aurait dit plus tard l'un des héritiers de son intuition sur l'inconscient humain, Freud.

-Enfin, Nietzsche n'est pas forcément devenu fou par une psychose, par une pensée qui l'aurait submergé par sa grandeur. On parle encore en général de Syphilis, et mieux vaut à mon avis ne pas trancher sur ce sujet.
conan
 

Re: Sur la pensée de Nietzsche

Messagede kuhing » 12 Mai 2009, 08:53

conan a écrit:Je suis assez d'accord avec toi sur le fait que Nietzsche ait une philosophie de transmutation de soi-même bien plus que d'autrui ! Et sur son rejet total des justifications légales/morales, toutes à abattre pour façonner sa propre grandeur.

Mais quelques remarques quand même, parce qu'à mon humble avis de lecteur de Nietzsche, il est l'un des penseurs les plus complexes et les plus insaisissables qui soit, et il est fort difficile .


Salut Conan,

Tes précisions sont très intéressantes. Je ne pensais pas que nous avions ici un spécialiste de Nietzsche.
J'ai écrit ce texte en rebondissant sur une discussion trouvée sur le FMR il y a 2 ou 3 jours.
ça m'a rappelé que Nietzsche avait attiré mon attention pour la première fois vers l'age de 25 ans et j'ai poursuivi sporadiquement sa lecture jusqu'à il y a encore une dizaine d'années.
Mais je n'ai pas pu en faire une synthèse aussi précise que toi, juste une idée générale qui m'a plu d'exprimer alors que la quasi totalité des commentaires trouvés sur ce ForumMR se résumaient à : "oui, j'aime pas Nietzsche parce que Schopenhauer est meilleur" ou encore "Les anarchistes font référence à Nietzsche, Trotsky a bien montré qu'ils ont tort " (c'est ce qui m'a fait réagir)

Ta réponse pourrait faire l'objet d'une seconde partie de cet article du "P'tit Noir 9" consacré à lui. ça me semblerait compléter cette petite approche.
kuhing
 

Re: Sur la pensée de Nietzsche

Messagede conan » 12 Mai 2009, 09:12

Oui, j'ai lu je crois toutes les oeuvres de Nietzsche (1). Et malgré (ou du fait même de ?) ses énormes contradictions -paradoxes plutôt (2)- je trouve cette lecture passionnante. Ca reste aujourd'hui encore un sacré poil à gratter !
Et quand on est pas d'accord avec lui, sa pensée permet d'affuter la nôtre ! :)
Par contre sa lecture n'est pas aisée... sa pensée est labyrinthique et un peu perverse : il se plaît à perdre son lecteur. S'il fallait lire l'essentiel de lui, je conseillerais de commencer (paradoxalement) par l'une des oeuvree finales, "Ecce Homo", où il fait sa propre promotion ; c'est très drôle et cela donne des clés pour comprendre les oeuvres antérieures. Ensuite, lire "la généalogie de la morale", qui fait bien cogiter et démasque bien les ressorts de la société humaine en général. Enfin, si on se sent prêt, s'envoler avec l'oeuvre la plus poétique, "Ainsi parlait Zarathoustra".

(1) excepté, question de principe, le gloubiboulga fumeux "la volonté de puissance", concocté par sa soeurette nazillonne en un mix indigeste de citations et d'ajouts, afin de légitimer le fascisme ambiant.
(2) exceptées ses ignominies déblatérées sur les femmes, même si elles sont évidemment très surjouées (Nietzsche ayant eu un rapport d'admiration avec les femmes qu'il a pu côtoyer).
conan
 

Re: Sur la pensée de Nietzsche

Messagede joe dalton » 12 Mai 2009, 13:21

conan a écrit:Par contre sa lecture n'est pas aisée... sa pensée est labyrinthique et un peu perverse : il se plaît à perdre son lecteur. S'il fallait lire l'essentiel de lui, je conseillerais de commencer (paradoxalement) par l'une des oeuvree finales, "Ecce Homo", où il fait sa propre promotion ; c'est très drôle et cela donne des clés pour comprendre les oeuvres antérieures. Ensuite, lire "la généalogie de la morale", qui fait bien cogiter et démasque bien les ressorts de la société humaine en général. Enfin, si on se sent prêt, s'envoler avec l'œuvre la plus poétique, "Ainsi parlait Zarathoustra".

ce n'est pas aisé, mais en même temps c'est le philosophe(statut qu'il refuser) qui peut se lire sans aucun bagage philosophique ! ce qui est le plus fort avec lui, c'est que chacun y puisera ce qu'il y rechercheras ! c'est aussi pour cela que je pense que ceux qui se revandique de lui, adhere totalement a sa pensée, font fausse route ! c'est en tout cas pas ce qu'il rechercher, tant il avait un profond mépris pour les idolâtres ! sur ses œuvres, je déconseille vivement zaratoustra a celui qui veut se familiariser avec la pensée de Nietzsche ! indéchiffrable, il n'est pas si indispensable dans sa bibliographie, et Nietzsche finalement était plus doué pour la démystification !
par contre, et c'est certainement du a tous ses propos contradictoires, il en impose, et personne ne le critique vraiment ! c'est dommage, et toute pensée est critiquable, la sienne ne fait pas exeption ! il y a quand même un coté ridicule dans ses écrits, avec ses tirades enflammées sur la "bonne santé", ses "grand eclats de rire" de depressifs ! d'ailleurs dans une certaine mesure, il assumait un coté bouffon, et ses écrits ne manquent pas d'humour !
ma phase préférer(car Nietzsche a réabilité l'aphorisme) c'est celle ou en parlant de je ne sais plus quelle pensée,"la philosophie universitaire n'afflige personne, et cela même est affligeant"
je fais suivre une tres bonne critique de nietshe qu'avait exhumer harfang dans ce topic : http://forum.anarchiste.free.fr/viewtopic.php?f=6&t=1577&p=25769&hilit=cioran#p25769
"Nous avions cru avec Nietzsche à la pérennité des transes ; grâce à la maturité de notre cynisme nous sommes allés plus loin que lui. L’idée de surhomme ne nous paraît plus qu’une élucubration ; elle nous semblait aussi exacte qu’une donnée d’expérience. Ainsi l’enchanteur de notre jeunesse s’efface. Mais qui de lui - s’il fut plusieurs - demeure encore ? C’est l’expert en déchéances, le psychologue, psychologue agressif, point seulement observateur comme les moralistes. Il scrute en ennemi et il se crée des ennemis. Mais ses ennemis il les tire de soi, comme les vices qu’il dénonce. S’acharne-t-il contre les faibles ? Il fait de l’introspection ; et quand il attaque la décadence, il décrit son état. Toutes ses haines se portent indirectement contre lui-même. Ses défaillances, il les proclame et les érige en idéal ; s’il s’exècre, le christianisme ou le socialisme en pâtit. Son diagnostic du nihilisme est irréfutable : c’est qu’il est lui-même nihiliste, et qu’il l’avoue. Pamphlétaire amoureux de ses adversaires, il n’aurait pu se supporter s’il n’avait combattu avec soi, contre soi, s’il n’avait placé ses misères ailleurs, dans les autres : il s’est vengé sur eux de ce qu’il était. Ayant pratiqué la psychologie en héros, il propose aux passionnés d’Inextricable une diversité d’impasses. Nous mesurons sa fécondité aux possibilités qu’il nous offre de le renier continuellement sans l’épuiser. Esprit nomade il s’entend à varier ses déséquilibres. Sur toutes choses, il a soutenu le pour et le contre : c’est là le procédé de ceux qui s’adonnent à la spéculation faute de pouvoir écrire des tragédies, de s’éparpiller en de multiples destins. - Toujours est-il qu’en étalant ses hystéries, Nietzsche nous a débarrassés de la pudeur des nôtres ; ses misères nous furent salutaires. Il a ouvert l’âge des « complexes ». "

je chie sur cioran, qui est pour moi un charlatan, comme tout ceux qui se revendique nihiliste, mais là, c'est assez bien senti !
joe dalton
 

Re: Sur la pensée de Nietzsche

Messagede lou » 27 Mai 2009, 17:17

C'est un de mes auteurs favori et j'ai quasiment lu tout ce qu'il a écrit, y compris sa correspondance avec Lou Andréa Salomé. J'ai beaucoup de mal à comprendre comment il a pu être récupéré par l'extrême droite car quiconque a lu ses livres comprendra que sa philosophie n'a rien à voir avec l'idéologie fasciste. Je trouve ta synthèse très juste Conan et pour ma part je relis assez régulierement "Ainsi parlait Zarathoustra".
je serai post-féministe quand nous en serons au stade du post-patriarcat.
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