Je me permets de le diffuser sur le forum parce que nous cherchons justement des militant-e-s organisé-e-s, non organisé-e-s, sympathisant-e-s, anarchistes, radicaux, altermondialistes (vivant sur Paris ou région Parisienne si possible pour faciliter les échanges) susceptibles de s'engager dans sa mise en place et son fonctionnement que ce soit sur le plan des idées, sur le fonctionnement techniques (site Internet, vidéos, son), sur l'organisation matérielle des rencontres entre militants, chercheurs et sympathisants ou bien encore par l'apport de leurs expériences militantes ou leurs connaissances théoriques à ces dites rencontres. Créons, donc une RI de Saint-Imier permanente ! Un site Internet sera bientôt en ligne. En attendant, n'hésitez pas à me dire ce que vous pensez du texte d'annonce ci-dessous qui en justifie l'existence et présente la manière dont il fonctionnera. Si jamais ça vous intéresse de venir nous prêter main forte (nous ne sommes pas encore nombreux), n'hésiter pas à me faire un MP.
Plaidoyer pour la création d'un think tank anarchiste
Ce texte présente les raisons et les objectifs de la mise à disposition d'un outil collaboratif, autogéré et gratuit dont l'appellation correspond le mieux au nom de « think tank » (laboratoire d'idée en français) afin d'aider sympathisant-e-s, militant-e-s, organisé-e-s ou non organisé-e-s à la progression des principes libertaires à partir des différents combats qu'ils/elles mènent. Ne cherchant pas seulement à convaincre de l'utilité de cet outil, ce texte est aussi un appel à ceux/celles qui souhaiteraient s'investir dans son fonctionnement quelles que soient leurs capacités et leurs connaissances. Toutes critiques adressées à notre projet s'annonçant bien sûr déjà comme une participation à sa construction par le réajustement qu'elle impliquera et que nous vous remercions de nous transmettre si elles vous semblent utiles.
Des contre-points de résistances à multiplier
Intemporelles, les idées libertaires sont parvenues à se frayer un chemin auprès de chaque génération au cours des cent cinquante dernières années, donnant sens à de nombreuses avancées sociales et expérimentations en milieux libres. Ignorant toujours les frontières géographiques, elles dépassent depuis ces dernières décennies celles entre classes sociales. Elles ne demeurent plus seulement l'apanage des plus dominés, socialement et économiquement, mais convainc aussi des individus de classes moyennes voire même aisées depuis que l'idéal de la beat-generation venu d'Amérique a enveloppé, comme une tornade, des franges de la jeunesse sur tous les continents à la fin des années soixante[1]. Aujourd'hui, même si les mouvements anarchistes restent encore très largement minoritaires, on note volontiers une recrudescence de luttes, d'expérimentation ou de méthodes de diffusion de leurs principes renouvelées. Au delà des traditionnels marquages libertaires réguliers et pacifistes en manifestation, on constate émergence d'un radicalisme libertaire désormais pragmatiste au sein de certaines instances syndicales[2], l'usage d'une violence créative, d'avantage organisée et directement ciblée sur la propriété privée, l'État et les symboles du Capital[3]; le fleurissement de blogs, de sites Internet d'informations et de forums de discussions parfois très bien documentés, la multiplication d'éditeurs spécialisés en littérature libertaire, des pratiques alternatives de vie en commune rurale autogérée ou au sein des grands villes à travers le mouvement squat. Bref, la domination capitaliste et étatiste - et si l'on peut permettre ce langage peu coutumier par chez nous - n'a jamais eu un arsenal de répliques si varié. Et voilà bien un constat réjouissant. Car ces entités, bien qu'abstraites, sont parvenues à disséminer leurs emprises à chaque niveaux de la vie et n'ont donc plus véritablement de points faibles qu'il faudrait toucher pour les anéantir comme par magie. Seule la multiplication des résistances avec des armes militantes à chaque fois adaptées au terrain que nous investissons – dans nos vies privées, dans les entreprises comme dans la rue - pourra entraîner leur effondrement effectif. Aussi, il est de notre devoir de continuer à maintenir cette fièvre innovatrice d'outils et de luttes en allant occuper, nous libertaires, d'autres espaces, lieux ou territoires où s'exercent ces dominations. Et ce d'autant plus que nous gagnerons une visibilité communicative nouvelle qui nous manque de toute évidence aujourd'hui.
Fournir un support destiné à en aider l'essor
Pour aider cette perspective à se réaliser, nous pensons pertinente l'idée de construire un support plus en amont, mettant des joutes réflexives approfondies à la disposition des militants, sympathisants et intéressés. D'une part sur des mobilisations récemment survenues afin d'émettre des analyses circonstanciées des résultats qu'elles ont obtenues de manière à renforcer leur portée à l'avenir ou présentement si elles ne sont pas achevées. D'autre part, sur des questions socio-économiques qui ne nous semblent pas ou peu envisagées par les militants pour, justement, sensibiliser à l'ouverture de nouvelle brèches de contestation. Ce support collaboratif, évidement autogéré, gratuit et principalement accessible par Internet, peut s'apparenter à ce qu'on appeler un think tank. Le terme pourra surprendre chez des anarchistes car les thinks tanks, en particulier aux États-Unis, sont devenus au fil des décennies des puits à déclarations réformistes, voire des groupes de pression auprès des gouvernements en place. Ce qu'évidement nous ne souhaitons pas devenir. Pourtant, il nous faut bien « appeler un chat, un chat » (noir ?) : originellement un think tank désigne un laboratoire d'idées à but non-lucratif animé par toute personne en mesure de fournir une réflexion sur un sujet de société, éventuellement capable de produire une courte étude dessus et de l'accompagner de propositions politisées. C'est précisément ce que nous proposons de faire en ouvrant aussi cette structure à tous ceux et toutes celles qui souhaiteraient soit assouvir leur curiosité en posant une question sur tout sujet de société sur lequel il/elle souhaiterait obtenir une réponse libertaire, soit à tous ceux et toutes celles désirant relever le défi d'y répondre ou de proposer sa contribution personnelle à l'aide de support écrit, audio ou vidéo. Cela signifie que nous espérons pouvoir aussi profiter à terme de cette dernière possibilité pour envisager des rencontres entre les contributeurs et les intéressés dans un espace ouvert à tous. À l'occasion, nous aimerions, sans que cela ne soit obligation, pouvoir mobiliser des personnes du monde scientifique dont la sensibilité politique bien ancrée à gauche les motivera à apporter leur voix. Pour plus de précision : il ne s'agit pas ici d'inviter l'expert pré-senti, acquis au discours abscons et à la neutralité de façade mais bien des personnes ayant la volonté de produire des explications pédagogiques à destination de tout public et dont la perspective libertaire restera le fer de lance de la démonstration. Nous pensons en effet que si les organisations se disant libertaires ne le sont pas toujours dans leurs pratiques en interne, le monde scientifique qui ne se veut bien sûr pas libertaire, créé néanmoins des analyses, des théories et des critiques de la sociétés pouvant assurément en nourrir l'idéal[4]. Il faudra simplement veiller à favoriser le pluralisme des courants de pensées et des disciplines afin d'éviter toute constitution d'un monopole théorique ou méthodologique qui aboutirait nécessairement à une pensée hégémonique ne permettant plus de penser le caractère pluriel des modes de dominations, d'aliénations ou encore d'exploitation, qu'il soit fondé sur les classes sociales, l'insatiable procès de valorisation du capital, le genre, l'ethnie, la perversion sexuelle et narcissique, le symbolisme publicitaire, etc.
Entre critique des temps actuels et imagination d'un autre futur : exemples de voyages réflexifs sur lesquels il nous paraît judicieux de s'embarquer
Quels seraient alors les questions, propositions et débats que nous souhaiterions faire naître au sein de ce think tank ? Pour bien comprendre quel est notre objectif, il nous semble préférable de donner quelques exemples de questionnements qui, pour nous, s'avéreraient intéressants d'être appropriés par le milieu libertaire pour qu'il progresse dans la quête du changement social qu'il recherche.
- Quid du type de contre-communication que nous pourrions mettre en place en complément de celles qui décrédibilisent le vote en « démocratie » représentative et notamment sur les méthodes de propagande des partis politiques en tant que tel, autrement dit pas seulement sur les idées qu'ils véhiculent ou qu'ils tentent de faire appliquer - et sur lesquelles nous avons toujours axé nos luttes – mais aussi sur la spectacularisation de leur posture, la marchandisation de leur personnalité, les techniques rhétoriques utilisées, etc. et qui font finalement que la politique dite « politicienne », avec l'aide des progrès en matière de diffusion, est devenue une vaste tentative d'abnégation des capacités d'auto-détermination de l'individu en pensée comme en acte ?
- Quelles formes de communication et de protestations devrions-nous construire contre le phénomène aujourd'hui bien connu de la souffrance au travail qui atteint les travailleurs les plus subalternes jusqu'aux cadres d'entreprises ? N'y a-t-il pas là d'ailleurs un combat typiquement anarchiste en faveur d'un surcroît de liberté, puisque cette souffrance provient en grande partie de l'individualisation récente de la relation à l'entreprise qui conduit ses « collaborateurs »à se considérer comme unique responsable de la réussite de ce qu'on lui exige de réaliser, rentrant en fin de compte dans ce que Christophe Dejours a appelé un système de domination auto-administré ?[5]
- Autre exemple : comment critiquer ou manifester notre mécontentement contre les paradoxes temporels de notre philosophie de vie, disons, « occidentale-libérale » qui fait de l'accélération des rythmes de vie une loi historique[6] en même temps qu'elle génère des plaintes sur l'ennui ambiant et des contraintes nouvelles sur les individus, les obligeant à faire des projets d'avenir en permanence tout en favorisant la précarisation de leurs conditions d'existences présentes (emploi, formation, logement, etc.) ? Que dire d'ailleurs des enquêtes scientifiques qui montrent que plus les gens ont l'impression de gagner du temps, moins ils ont l'impression d'en avoir ?[7]
- Comment, pour prendre un exemple plus prospectif, critiquer et lutter contre les risques de dérives qu'occasionnera le passage probable d'une société humaine à une société transhumaine comme la constitution d'une nouvelle forme de domination d'une classe technologisée de sur-humains sur une classe d'humains non augmentés et donc considérés comme moins performants ?[8]
Il ne faudrait effectivement pas négliger les luttes qui seront à venir, non qu'il s'agirait de prévoir leur déroulement à l'avance - ce qui est impossible - mais bien parce que lorsque nous critiquons ce qui est à peu près certain de survenir nous disons aussi quelque chose de la société libertaire que nous appelons de nos vœux dans le futur. C'est là un combat tout aussi important que ceux qui se déroulent dans le présent. Il s'agit ici de celui qui a encore timidement lieu entre notre conception du futur d'un côté, - autrement dit notre utopie dans le présent - et d'un autre côté, celle que le capitalisme fait sans cesse entendre du haut de son dogme gonflé à l'économie néo-classique. Le capitalisme-libérale, ne l'oublions pas, dispose bien de son utopie qui, depuis près de trois siècles, continue d'être le sous-entendu de tout bon discours de droite ou de publicitaires pour firme en quête de personnel qualifié, à savoir, pour aller vite, que la poursuite des intérêts individuels motivée par un égoïsme prétendument naturel est le moteur de la prospérité générale de la société et du bonheur de tout un chacun. Et preuve en serait encore plus probante aujourd'hui que l'expérience communiste aurait démontré que toute expérience collectiviste était vouée à la négation de la liberté, à la pauvreté généralisé et à violence répressive.
Ces perspectives utopistes dont la réalité a montré qu'elles étaient mensongères doivent aussi devenir un terrain de lutte véritable car elles ne font que renforcer en retour - probablement à un point qu'on ne soupçonne pas[9] - l'idéologie capitaliste. Il ne s'agirait pas seulement de faire affronter « nos promesses contre les leurs », mais de fournir un ensemble d'alternatives détaillées et concrètes dans tous les domaines de la vie quotidienne pour donner une vision de notre mouvement qui ne soit plus seulement celle, certes nécessaire, de l'opposition indignée et virulente, mais d'une volonté constructive générale et cohérente. La seconde venant donner une puissance de persuasion supplémentaire à la première. Quoi de plus entendable en effet pour toute personne ne connaissant pas, ou mal, les principes que nous revendiquons, que de constater que ceux-ci sont arrimés à des solutions pensées de manière précise pour qu'elle puisse les assimiler facilement à sa propre existence ? Notre quotidien n'est-il pas la première source de nos inquiétudes ?
Pour ces raisons, nous espérons que ce think tank sera aussi l'occasion de pouvoir réactualiser et de proposer de nouvelles réponses à toutes questions touchant à l'organisation future de la vie dans une société anarchiste. Nous pensons par exemple à celles-ci : à quoi ressemblerait les échanges de biens et de services dans une société anarchiste ? Doit-elle constituer le domaine économique « à part » ou, comme le pense Daniel Colson, se refuser à en faire une catégorie spécifique au risque de lui redonner la survalorisation qu'on lui accorde déjà dans la société d'aujourd'hui[10] ? Comment devra-t-on, par ailleurs, concilier la liberté de l'individu avec les intérêts de la communauté ? Comment prendre des décisions politiques de manière autogérée lorsqu'elles s'appliqueront à l'échelle d'un pays, d'une continent, du monde ? Comment devra s'organiser l'apprentissage des métiers ? Devra-t-il être nécessaire d'aller à l'école ou pourra-t-on favoriser l'apprentissage en autodidacte ? Comment faire pour que tous les choix possibles sexuels et amoureux puisse être respectés ? Les catégories Homme/Femme seront-elles abolies en considérant par là qu'elles sont le fruit de l'oppression patriarcale ou seront-elles conservées pour ceux qui estiment qu'il y aura toujours des différences socialement fondamentales entre des personnes d'un sexe différent ? Quelle sera la place de l'art dans la société ? Ces créations auront-elles une valeur à part comme dans la société d'aujourd'hui ? Les appartement et maisons seront-ils propriétés de la communauté ou sera-t-il possible de posséder son propre logement dès lors qu'on l'a nous même fabriqué ? Quelles limites fixerait-on alors entre ce qui relèvera de la possession individuelle et de la propriété socialisée ? Etc.
Conclusion
Ces questions que nous avons lancées ici de manière abrupte pour exemple, nous espérons, avec la patience, la volonté et l'espoir qui nous animent, pouvoir en allonger la liste et s'en servir comme d'une médiation par ce think tank pour échanger, discuter et proposer avec tous ceux et toutes celles qui voudront se joindre à nous pour nous aider, même ponctuellement, dans son fonctionnement. In fine, avec un peu de chance et d'audace se répandront des idées trop rapidement mises à l'index ou simplement nouvelles, pour alimenter encore d'avantage nos luttes et en construire d'autres qui soient inédites. Antonin Artaud disait : « Les idées en tant que telles, n'ont jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim ». Pourtant, celles-ci peuvent aussi constituer un moteur aussi puissant pour l'action humaine que la faim elle même[11].
Des anarchistes
Paris, le 4 octobre 2012.
[1] « L'anarchisme a-t-il un avenir ? » Histoire de femmes, d'hommes et de leurs imaginaires, Colloque international, 28, 29 octobre 1999.
[2] Pereira I., Peut-on être radical et pragmatique ?, Éd. Textuel, coll. « Encyclopédie critique », 2010
[3] Dupuis-Déri F., Les Black Blocs - La liberté et l’égalité se manifestent, Éd. Lux Éditeur, 2009.
[4] Citons par exemple la théorie de l'agir communicationnel de J. Habermas, de la critique de la rationalité économique d'André Gorz, de la dialectique du capitalisme et de ses critiques de L. Boltanski et E. Chiapello, de la ré-interprétation de la critique marxienne de la valeur de Moishe Postone, du pouvoir comme capacité libertaire de Thomas Ibanez, etc.
[5] Desjour C., Souffrance en France. La banalisation de l'injustice sociale ?, Éd. Le seeuil, 1998.
[6] Rosa H., Accélération. Une critique sociale du temps, Éd. La Découverte, 2010.
[7] Ibid.
[8] Voir, à ce sujet, le documentaire édifiant sur le transhumanisme diffusé dans l'émission Infrarouge sur France 2 : http://www.dailymotion.com/video/xnimil ... a-pub_tech
[9] Combien sont en effet encore persuadés que si tout le monde pensaient d'avantage en bon homo économicus ils réussiraient assurément dans la vie alors que, précisément, l'égoïsme, l'intérêt individuel et l'esprit de compétition qui le caractérisent, doivent en laisser sur la paille pour que d'autres puissent être couronnés ? Combien croit encore que le capitalisme est le meilleure système qui n'a jamais existé tout en brandissant allègrement le nombres de morts du communisme pour tenter de le démontrer alors qu'historiquement, on pourrait considérer que la recherche effréné de profit qu'il a nécessité a fait bien d'avantage de victimes ? (Voir par exemple le livre sous la direction de Jean Suret Canal, Le livre noir du capitalisme, Éd. Le temps des cerises, 2002) Combien se disent, enfin, que le capitalisme fonctionnerait mieux si, simplement, le libéralisme pouvait enfin être libéré des griffes d'un État-providence glouton alors que les 173 expériences de cures d'austérité analysées jusqu'à ce jour, ont quasiment toute débouché sur une contraction de l'économie...d'après le FMI !? (l'étude est disponible dans ce document en PDF à ce lien : http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2011/wp11158.pdf )
[10] Colson D., Petit lexique philosophique de l'anarchisme. De Proudhon à Deleuze, Éd. Biblio Essais, 2001, p.84.
[11] Artaud A., Le Théâtre et son double, Éd. Gallimard, 1938.